Lorsque Tara Double Lame présenta Tamo Tcheng Fao à son ami nécromant Irwin Maelstrom, elle ne doutait pas des conséquences que son geste allait avoir sur le moine de Cantha.
Depuis son expérience de la mort lors de sa visite chez Hung Fut Hsien, Tamo avait toujours refusé la compagnie des serviteurs des ténèbres. Il se justifiait aux autres, comme à lui-même, par le rejet d’une magie contraire au Tao.
Mais la vraie nature de sa motivation était tout autre.
Lors de son apprentissage, Tamo eut à maintes reprises l’occasion de participer avec son maître Dogen Suma Soho aux diverses fêtes que les paysans de Cantha organisaient avec ferveur tout au long de l’année. La plus importante d’entre elle était la fête du printemps. Les dames rivalisaient d’ingéniosité pour se faire voir sous leur meilleur jour. Les meilleurs breuvages étaient servis pour cette occasion et l’on chantait et dansait jusqu'à tard dans la nuit. Le moment le plus attendu était à midi, lorsque le soleil était au zénith. Les moines sortaient les trompes pour faire venir les beaux jours et ainsi appeler à la fertilité généreuse de la nature, garantie des belles moissons à venir. Ces trompes étaient énormes et les moines chargés de souffler dans les orifices de ces instruments divins devaient concentrer au maximum leur énergie vitale pour réussir un son et cela sans mourir asphyxier. La majesté des harmonies qui en sortait résonnait dans chacune des oreilles et des âmes des participants, provoquant chez eux un sentiment de joie et de sérénité sans pareil.
La magie des ténèbres que maîtrisait Irwin Maelstrom causait les mêmes effets chez le moine et la mésaventure du mont Kiu n’avait fait qu’amplifier les choses….
Tamo Tcheng Fao était originaire d’une famille pauvre et sa naissance coïncida avec de grande famine qui frappa les campagnes de sa province natale. A cette époque la suprématie de l’ordre cléricale sur le continent tout entier en fut déstabilisée. Si le son des trompes était magique, il faut croire qu’elles n’avaient pour réelle efficacité que répandre l’illusion de leurs bienfaits. Les Nécromants de Cantha profitèrent de ces famines et de la grogne générale du petit peuple pour tenter d’asseoir un pouvoir qu’ils n’avaient jamais eu sur cette partie du monde. Ils savaient que leur réussite dépendait en grande partie d’un nombre plus important de disciples. C’est pourquoi, ils profitèrent de cette période pour voyager à travers tout le pays en quête d’apprenti, si possible doué et doter d’un potentiel magique important. Une faction minoritaire des Nécromants de Cantha décida, pour les aider dans leur démarche, d’utiliser les grands moyens. Ils se faisaient appelé les Ombres Noires et avaient mis au point un sort destiné à influencer les âmes talentueuses pour les faire basculer facilement vers les ténèbres. Ils utilisaient pour ce faire un artefact magique qui se présentait sous la forme de petits cristaux verts : « les Lames de Grenth ». Contre quelques pièces d’or, les enfants qu’ils jugeaient avoir un potentiel conforme à leurs attentes étaient soumis aux rituels avec l’aval bienveillant des parents, trop content en cette dure époque d’obtenir de l’argent à un moment de leur vie aussi désespéré.
C’est ainsi que le jeune Tamo, âgé seulement de quelques mois, fut installé à même le sol de la maison qui l’avait vu naître sur un pentagramme que le nécromant avait dessiné sur le sol avec son propre sang. Le rituel qui suivait, s’il était court, était plutôt impressionnant. Les Larmes de Grenth du sol se suspendaient dans les airs pour alors s’évaporer sous l’effet des paroles du Nécromant et s’infiltrer dans l’âme du receveur.
Mais les plans des Ombres Noires furent découvert et furent l’objet par les moines de Cantha d’une purge qui, en quelques mois, les éradiqua complètement du pays. Très peu de ces Nécromants survécurent.
De tous les enfants qui reçurent les larmes de Grenth, très peu vivérent. Quand les larmes ne les tuaient pas rapidement, un certains nombres de ces enfants, devenus adolescents, se suicidaient tant leur sentiment de malaise les dévoraient. Ils étaient devenus les victimes de leurs propres cauchemars.
Mais les larmes avaient sur les survivants de ces expérimentations, la plus redoutable des conséquences. Si elles avaient obscurcies et marquer l’âme des porteurs pour toujours, il était impossible, même pour les moines et les nécromants les plus aguerris et expérimentés, d’en percevoir la présence dans l’organisme.
Les autorités cléricales de Cantha n’ont, à ce jour, encore aucune idée du nombre des âmes tourmentées que la faction des Ombres Noires a fait naître. Par contre, ils ne connaissent que le nombre des enfants que les larmes de Grenth avaient emmené dans la tombe.