A chaque chose, à chaque être correspond son antithèse, son contraire. Ainsi va la grande balance du monde et la voie du grand mouvement céleste.
Hung Fut Hsien le nécromant maudit personnifiait du temps de son vivant la corruption du cœur, la noirceur de l’âme, la cruauté et le sadisme. Mais l’équilibre du monde nécessitait une contre partie. De même que le long ne va pas sans le court, Hung Fut Hsien ne pouvait exister dans ce monde sans son parfait opposé.
Loin des troubles de la forêt des milles horreurs, il existait à Cantha un jeune garçon homonyme du nécromant maudit. Si ces deux êtres portaient le même nom, leur origine et la nature d’âme étaient bien différentes.
Originaire du même village que Tamo Tcheng Fao – mais de 5 ans son cadet - ce garçon à l’humeur joyeuse était d’une nature sensible mais espiègle. Sa véritable histoire commença alors qu’il n’était âgé que de 8 années.
Alors que ces parents, tous deux paysans, cultivaient leur terre, le jeune Hung Fut Hsien aimait chahuter avec ses petits camarades dans les forêts environnantes. Leur occupation favorite consistait à poursuivre sans se faire repérer les Moas qui peuplaient la forêt. Le but était de se rapprocher le plus possible d’elles pour leur arracher les plumes. Une fois les plumes arrachées, il fallait avoir de bonnes jambes pour éviter les coups de bec.
Alors qu’Hung Fut Hsien, à flan de rocher, pistait depuis maintenant plus d’une heure le malheureux volatile qui le garnement s’apprêtait à déplumer, ses pieds glissèrent sur un caillou moussu. L’enfant dégringola d’une dizaine de mètres le long de la pente glissante et perdit connaissance.
La tête lourde et les jambes endolories, Hung Fut Hsien se réveilla doucement. Un bruit rauque résonna alors à ses oreilles. Ses yeux s’ouvrirent lentement. Ce qu’il vit en face de lui aurait du le faire sursauter mais la vue qui s’offrit à lui le paralysa. Il voulait crier mais aucun son ne sortit de sa bouche. Un majestueux et énorme tigre blanc lui faisait face.
Pendant des secondes qui lui semblèrent durer des heures, l’animal le fixa de ses yeux profonds. Hung Fut Hsien plongea dans son regard ; un sentiment de peur et de fascination le subjugua.
Puis d’un coup, l’animal fêla d’un air menaçant et l’enfant eut alors l’aperçu de la puissante dentition du félin. Son pantalon se mouilla.
Alors qu’il croyait être mangé en un seul morceau, le tigre blanc, l’air dédaigneux, se détourna du petit homme pour disparaître sous les canopées.
Il ne fallut pas longtemps à Hung Fut Hsien pour comprendre la signification de la leçon que venait de lui infliger la nature. Jusqu’alors, cette nature n’était que pour lui un terrain de jeux. Il se préoccupait assez peu des conséquences de ses actes sur la nature environnante.
Les hommes n’hésitent pas à écraser le faible. Ils n’hésitent pas à poser des pièges pour braconner. Ils n’hésitent pas à tuer pour le plaisir. Tirer les plumes d’un oiseau quand il a le dos tourner est facile, sans réel risque, quand on est agile et rapide. Mais ce geste en plus d’être inutile est cruel et douloureux pour l’oiseau. Alors que le tigre n’aurait fait qu’une bouchée de l’enfant, il préféra lui donner une leçon et lui montrer que le fort a des responsabilités sur le faible.
Et cette leçon changea de manière radicale le comportement et la mentalité du garçon.
Devenu adolescent, Hung Fut Hsien était devenu un farouche protecteur de sa forêt. Il n’hésitait pas à détruire les pièges des braconniers ou à se servir de son arc pour les chasser de ce qu’il considérait être son territoire. Mais cette lutte était sans fin. L’ingéniosité dont faisait preuve les braconniers était sans limite et poussait Hung Fut Hsien à affûter ses capacités et ses connaissances. Et l’utilisation de pièges empoisonnés se répandait de manière inquiétante.
C’est au cours d’une de ces tournées d’inspection qu’il trouva un tigre blanc, la patte coincée dans un piège à loup dans les pinces étaient imprégnées d’une substance gluante et verdâtre. L’animal agonisait et était sur le point de mourir. Hung Fut Hsien n’aurait su dire si ce tigre était le même animal que celui de son enfance. Mais il fut envahi d’un sentiment complexe. Mélange de honte, d’impuissance, de tristesse et de colère. Il s’approcha de l’animal, lui caressa la fourrure et fit ce qu’il put pour soulager les souffrances du tigre qui mourut dans ses bras quelques minutes plus tard.
La colère se transforma en une inflexible détermination. Il décida de tout faire pour protéger l’animal que l’on appelle le roi de la forêt. A cet instant précis, Hung Fut Hsien s’entraîna sans relâche dans l’art du rôdeur. Il porta une attention particulière aux techniques de détection de piège, d’empoisonnement et des antidotes. Pour que plus aucun tigre blanc, ni aucun autre animal de sa forêt ne deviennent une victime de plus des braconniers.
A l’âge de 25 ans, sa réputation de protecteur farouche de la nature était connue de tous. On le connaissait dans tout Cantha par le surnom que les habitants de son village lui avaient donné. Un surnom qui faisait trembler tous les braconniers des environs : « Ru Fao Men ».
Un Tigre parmi les Hommes.